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Petite histoire du terrorisme : naissance de la stratégie de la terreur

Alors que nous avons commémoré en ce mois de janvier les attentats de 2015 qui ont meurtri 7 ans plus tôt notre pays, il nous a semblé intéressant pour les adeptes de l’histoire, les acteurs de l’antiterrorisme et toutes les personnes qui souhaitent comprendre les origines d’une méthode aussi abjecte qu’elle soit de consacrer un article sur la petite histoire du terrorisme. Une stratégie de la terreur qui perdure depuis l’Antiquité avec la Première Guerre judéo-romaine jusqu’à notre époque contemporaine qui a vu naître une multitude d’acteurs terroristes à travers le monde...


Les Zélotes (An 73)


Au commencement étaient les Zélotes. Cachés dans les déserts, ils lançaient des opérations de guérillas contre les Romains. Nous sommes en l’an 6 après Jésus-Christ. Le mouvement est créé par Judas le Galiléen.

Zélotes guerre judéo-romaine terrorisme
Illustration des Zélotes durant la guerre judéo-romaine

Les Zélotes appartiennent à un mouvement sociopolitique qui se développe en parti constitué en Palestine au temps de Jésus (66-73 après J-C). Ils veulent combattre pour libérer Israël de l’occupation romaine et le fait de devoir lui payer un tribu, ainsi que de devoir se soumettre non pas à un seul Dieu, mais à des maîtres mortels. « Ils ont un invincible amour de la liberté, car ils jugent que Dieu est le seul chef et le seul maître. Les genres de mort les plus extraordinaires, les supplices de leurs parents et amis les laissent indifférents, pourvu qu'ils n'aient à appeler aucun homme du nom de maître. » (Flavius Josèphe, Antiquités juives, XVIII, i, 23-24). Simon le Zélote, disciple de Jésus, était l’un des leurs. Les Zélotes s’en prennent aux Romains, mais aussi aux juifs collaborant avec Rome. Ils sèment la terreur jusqu’à égorger leurs victimes au milieu de la foule.


Après la mort de Jésus, les Zélotes seront au combat contre Rome lors de la Première Guerre judéo-romaine (66 à 73). Éléazar mène un groupe de Zélotes après la destruction de Jérusalem en 70. Ils se réfugient dans la forteresse de Massada où ils résistent plusieurs années aux légions romaines. Préférant mourir que de se rendre, les derniers Zélotes se suicidèrent collectivement pour ne pas être capturés.


La secte des Assassins (1090)


Les Assassins sont nés au Moyen-Orient (Perse) d’une scission entre Chiites et Ismaéliens à propos de succession à l’Imamat après la mort du calife Mustansir Billâh, en 1094. Mustansir avait en effet destitué Nizar, son fils ainé, du pouvoir, au profit de son cadet Musta’Li. Ceux qui suivirent Musta’Li et y prêtèrent allégeance constituèrent la branche égyptienne des Fatimides, ceux qui soutinrent Nizar, les Nazarites, plus connus sous le nom d’« Assassins ».


Ces Assassins étaient une secte musulmane qui se faisait un devoir sacré de mettre à mort leurs ennemis. A la tête des Assassins se trouvait un redoutable chef Chiite, « Le vieux de la Montagne », Hassan Al-Sabbah de son vrai nom, qui se prétendait prophète. Réfugié dans la forteresse d’Alamut il lançait contre ses adversaires politiques ses commandos de tueurs : les Assassins. Sa haine des Sunnites l’avait uni à Nizar, le fils destitué prisonnier en Egypte, pour faire de ses soldats révolutionnaires des « fedayins » (ceux qui se sacrifient) programmés pour tuer. Ils ont ainsi semé la terreur et l’anarchie en pratiquant une stratégie d’assassinats politiques ciblés.

La secte des Assassins Perse Alamut Hassan Al-Sabbah
Gravure représentant Hassan ibn al-Sabbah (1036-1124) ordonnant à ses disciples de se tuer, depuis le haut de la vallée d'Alamut, Perse, vers 1096 © AFP / Leemage

La méthode était simple : le tueur frappe sa victime en plein jour, de préférence devant une mosquée à l’heure de la prière pour avoir un maximum de témoins oculaires. L’Assassin sait très bien que le prix à payer pour son crime sera la mort pour lui-même. Il deviendra ainsi un martyr, un sacrifié, un ancêtre du kamikaze, auquel il aura été promis, par-delà la mort, le paradis. La secte de fanatiques, après avoir semé la terreur jusqu’au milieu du XIIIème siècle, trouvera sa fin en la personne de Houlagou Khan, un petit fils de Gengis Khan qui fera le siège d’Alamut qui se rendra sans combattre. La secte des Assassins a notamment inspiré le jeux vidéo à succès « Assassin’s Creed ».


La Révolution française (1793)


Pour certains, le terrorisme apparait beaucoup plus tard. En 1793 à travers « la doctrine des partisans de la Terreur », terreur qui opposa les girondins à Robespierre et autres montagnards. Il s’agit alors d’un terrorisme d’État contre le peuple.


La Première République est née dans la Terreur. Cette terreur réelle menée par les Jacobins, répondait à une menace terroriste contre-révolutionnaire supposée. Elle s’étendait jusque dans les provinces en Vendée, à Lyon, Caen etc. C’était une terreur « légale » qui a autorisé toutes les mesures d’exception de l’État contre son propre peuple. Cette pratique répond à une stratégie choisie dans un contexte de Révolution et de guerre (avec l’Autriche). C’est le 10 juin 1794 que cette terreur sera à son apogée avec le renouvellement du Tribunal Révolutionnaire. Ce Tribunal a été « institué pour punir les ennemis du peuple », les actes d’accusation se basant parfois sur de simples dénonciations. L’accusé n’a le droit ni à un avocat, ni à une audition de témoins ni à l’instruction. Les têtes tombent, puis au plus fort de la Terreur, les opposants de Robespierre, le visage de la Terreur, se liguent contre lui, celle de Robespierre tombera aussi en 1794.


L'exécution de Robespierre et de ses partisans
L'exécution de Robespierre et de ses partisans © Wikimedia Commons, DP

La Terreur ne cessera que plus tard. On estime qu’il y a eu plus de 30 000 exécutions. À Nantes, jusqu’à 2 800 suspects sont noyés dans la Loire, sans jugement. Le mot « terrorisme » qui apparait en 1794 dans le dictionnaire désigne la doctrine des partisans de la Terreur pendant la Révolution. Était évoqué le « terrorisme jacobin » relatif à un mode de gouvernement « permettant au pouvoir en place de briser, à force de mesures extrêmes et d'effroi collectif, ceux qui lui résistent » (Encyclopædia Universalis).


Alexandre II (XIXème siècle)


Il faudra environ un siècle pour que le « terrorisme » trouve sa signification actuelle qui en est quasiment l’image inversée de la Révolution française : de violentes organisations non étatiques luttent contre les États en place en faisant usage de la terreur par le biais de l’assassinat ciblé.

attentat empereur Alexandre II de Russie 13 mars 1881
Gravure figurant l’attentat dont fut victime l’empereur Alexandre II de Russie, le 13 mars 1881

En 1878 le gouverneur de Saint-Pétersbourg échappe à une tentative d’assassinat par une populiste russe issue d’une mouvance appelée « La volonté du peuple » qui se dit révolutionnaire. Son but est l’anéantissement de l’État et l’assassinat de tous les opposants. Ils trouvent leur inspiration chez Bakounine et Proudhon. En 1881, c’est le Tsar Alexandre II qui sera assassiné par cette même mouvance dite anarchiste. Il avait déjà essuyé de nombreuses tentatives de meurtre. Il sera victime de quatre lanceurs de bombes. Sa mort signera le retour à l’autocratie que les révolutionnaires disaient combattre. Avec l’avènement d’Alexandre III, son fils, ce sera la fin des réformes libérales que le Tsar s’était employé à mener. Il s’apprêtait à donner une Constitution à son pays et célébrer une monarchie constitutionnelle.


On voit donc avec ces deux exemples qu’au XIXème siècle le terrorisme s’est mondialisé, internationalisé avec le terrorisme anarchiste né de plusieurs croisements d’idées : le romantisme, les échos de la Révolution française, mêlés au contexte de la révolution industrielle… Le terrorisme anarchiste est, de nature, international. Il veut tisser sa toile dans les classes sociales de tous les pays grâce au travail de ses militants qui se déplacent à travers les frontières de l’Europe et du monde. Leurs cibles de leurs attentats sont choisies sans aucune considération de nationalité ni de sexe, ce sont les chefs d’États et les représentants gouvernementaux qui sont visés (le Président Sadi Carno en 1894 à Lyon, Humbert 1er le Bon en Italie et la populaire Sissi, impératrice d’Autriche en 1898 à Genève).


L’attentat de Sarajevo (1914)


Tir mortel sur François-Ferdinand d'Autriche

Le 28 juin 1914, l’héritier de l’Empire Austro-Hongrois, François-Ferdinand de Habsbourg et sa femme Sophie Chotek, vont être assassinés par l’organisation secrète La Main noire par l’intermédiaire d’un militant de Jeune Bosnie, un groupe de jeunes nationalistes serbes, musulmans et croates. Cet assassinat avait été orchestré par Belgrade, en Serbie, par le Colonel Dimitrievitch. Il voulait, lui et son organisation, la réunion de tous les pays slaves du Sud autour de la Serbie. L’assassinat entraînera des conséquences terribles puisqu’il déclenchera la Première Guerre mondiale par un effet domino infernal.



Naissance de la lutte antiterroriste


La fin du XIXème siècle voit un vent de panique souffler sur l’opinion publique qui demande une réponse des gouvernements en place face à ce terrorisme anarchiste aveugle durant la « Belle Époque ». C’est à cette époque, et face à ces menaces, que l’ébauche d’une réflexion sur une forme de réponse au terrorisme prend naissance à un niveau international. Au niveau national on durcit les lois, avec par exemple la légalisation de la peine de mort pour les anarchistes en Espagne, ou la législation sur les Lois scélérates en France. Pour mémoire, à la suite du vote des Lois scélérates, la répression ne se fait pas attendre : le 1er janvier 1894, le président du Conseil, le ministre de l’Intérieur et le Garde des Sceaux ont les pleins pouvoirs. Les anarchistes connus et repérés dans toute la France sont perquisitionnés ou arrêtés.

Attentat bombe à l'Assemblée nationale Auguste Vaillant (gravure du Petit Journal)
Une bombe à l'Assemblée (gravure Le Petit Journal)

Courant de l’année 1892 une série d’attentats à la bombe a lieu afin de déstabiliser le pouvoir en visant ses représentants comme le veut le fonctionnement de la pensée anarchiste. Ravachol en est le perpétrateur. Son but : déstabiliser la société en recourant à la « propagande par le fait », c'est-à-dire à la violence. Le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant jette une bombe chargée de clous, de morceaux de zinc et de plomb à la tribune de la chambre des députés faisant une cinquantaine de blessés. A la suite de cet attentat, les députés adoptent en décembre 1893 en une série de lois dites lois scélérates comme l’abrogation des garanties conférées à la presse et le jugement des délits d’opinion au tribunal correctionnel ainsi que la loi permettant d’inculper tout membre ou sympathisant d’associations de malfaiteurs qui vise particulièrement les groupes anarchistes et qui encourage la délation. Certaines lois scélérates seront abrogées qu’en 1992. Ravachol sera guillotiné le 11 juillet 1892 ; Auguste Vaillant, qui avait voulu le venger sera lui aussi guillotiné, le 5 février 1894.


En 1892, l’Institut de droit international, dans la Session de Genève, vote une résolution mentionnant que « Ne sont point réputés délits politiques au point de vue de l’application des règles qui précèdent, les faits délictueux qui sont dirigés contre les bases de toutes organisation sociale, et non pas seulement contre tel Etat déterminé ou contre tel forme de gouvernement ». On cible donc l’ennemi de la société, le flou est assez artistique et ne rendra pas l’application de cet accord aisée. Certains pays refuseront de le ratifier, notamment pour des questions d’extradition non résolues. Prisonnier politique ou bien prisonnier terroriste ? Le terroriste est-il un prisonnier politique ayant droit au droit d’asile et au statut de réfugié politique ou bien est-il un terroriste devant être extradé et jugé dans son pays d’origine ? Doit-on extrader vers des pays autoritaires ou non ? D’aucuns voulant les récupérer pour les éliminer (la Russie) et d’autres ne voulant surtout pas les voir revenir sur leur territoire (Italie). Ces questions sont restées sans réponses.


On a donc des lois qui se durcissent au niveau national avec l’idée d’une coopération internationale, puisque le terrorisme l’est devenu. C’est l’assassinat d’Elisabeth d’Autriche (Sissi) qui sera l’événement fédérateur et donnera naissance à la Conférence Internationale de Rome pour la défense sociale contre les anarchistes, en 1898, qui réunira 21 pays, une première du genre, à se réunir contre le terrorisme. Dès le départ un problème va se rencontrer, problème qui perdure jusqu’à nos jours : comment définir le terrorisme ?


Cette conférence de 1898 sera-t-elle centrée sur le terrorisme anarchiste ou sur l’anarchisme tout court ? Dès le départ il y a un hiatus concernant le sujet de cette conférence entre les différents pays participants suivant leur propres agendas politiques. Si on ne peut circonscrire très exactement l’ennemi, il sera difficile de légiférer contre, et comment le classifier : crime politique ou non ? C’est sur ces questions que se concentrera cette conférence. Cependant, si au niveau des pays les résultats de cette conférence seront minces, au niveau des services de Polices des différents pays on voit s’esquisser un début de collaboration avec le partage des « portraits parlés » (liste de critères d’identification) de suspects terroristes.


Cette Conférence de Rome verra ses thèmes relancés avec le Protocole de Saint-Pétersbourg en 1904 (Secret Protocol for the International War on Anarchism) qui redéfinissait les politiques nationales de renvoi des anarchistes dans leur pays d'origine et l'échange d'informations sur les anarchistes. Ce n’est que beaucoup plus tard, en 1908, que les Etats-Unis, eux aussi touchés par le terrorisme anarchiste (après l’assassinat du Président McKinley par un anarchiste d’origine Polonaise) se joindront à la collaboration Européenne.


Le temps fera que ce terrorisme à particularité anarchiste disparaitra de lui-même (mais pas tout à fait), par manque de popularité auprès des classes populaires des pays en voies de démocratisation auxquelles il s’adressait. En effet, ces populations seront plutôt attirées par le socialisme. Par manque de structure aussi, capable de renverser un régime tel que celui Tsariste de Russie.


Dorénavant, l’idée principale du terrorisme sera d’internationaliser les conflits, afin d’attirer l’attention de tous. De s’attirer même la répression afin d’être visible, médiatisé (à l’époque les journaux). On cherche l’intervention de la communauté internationale pour mettre fin à des injustices considérées comme telles. Ainsi en 1821 le soulèvement grec entraine l’intervention des pays occidentaux contre l’empire Ottoman qui y perpétrait des massacres.

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