Figure 1 : La flotte américaine de Pearl Harbor en flammes après les bombardements de l'armée japonaise (STF / AFP)
Dans son allocution aux Français du 16 mars 2020, le Président E. Macron a déclaré « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes : nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre Nation. Mais l'ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. Nous sommes en guerre. »
Quelques années plus tôt, à la suite des attentats survenus à Paris le 13 novembre 2015, le Président F. Hollande s’est exprimé le 16 novembre 2015 devant les 577 députés et 348 sénateurs, réunis en Congrès à Versailles en déclarant que « La France est en guerre. »
Le dictionnaire Larousse définit la guerre comme « Lutte armée entre États. La guerre entraîne l'application de règles particulières dans l'ensemble des rapports mutuels entre États ; elle commence par une déclaration de guerre ou un ultimatum et se termine par un armistice et, en principe, par un traité de paix qui met fin à l'état de guerre. ». Mais aussi comme une « Lutte entre des groupes, entre des pays qui ne va pas jusqu'au conflit sanglant : Une guerre économique, de propagande. »
Chaque guerre a un objectif politique avec une stratégie définie et des tactiques adaptées à la situation. La Guerre des Boxeurs (1900-1901) en Chine, La Première Guerre mondiale (1914-1918), La Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Guerre de Corée (1950-1953), Guerre du Vietnam (1959-1975), Guerre Iran-Iraq (1980-1988), Guerre des Malouines (1982) ne sont que quelques exemples de conflits sanglants qui ont eu lieu ces deux derniers siècles.
Ces guerres ont causé de nombreuses pertes humaines et l’humanité a payé un lourd tribut pour son incapacité à résoudre d’une manière pacifique les conflits. Si la plupart des guerres ont commencé par une déclaration de guerre ou un ultimatum, certaines guerres ou certaines opérations militaires ont commencé par des attaques-surprises.
Ultimatum ou attaque-surprise, un regard sur l’intensité et la fatalité
Figure 2 : L'ultimatum allemand contre la Belgique le 2 août 1914
Dans un premier temps, il est intéressant d’aborder le concept de l’ultimatum en analogie avec la figure de « l’attente dans la communication stratégique » comme le propose le sémioticien, spécialiste de l’étude des conflits, de la guerre et du discours du terrorisme, Juan Alonso Aldama. Dans son ouvrage de 2005 aux éditions Lambert-Lucas « Le discours de l’ETA. Un terrorisme à l’épreuve de la sémiotique », il énonce dans un chapitre consacré à l’ultimatum que celui-ci « se construit sur une attente et constitue, quoi que cela puisse paraître paradoxal, un cas particulier de devenir. »
Parmi les ultimatums célèbrent qui ont conduit à des guerres, on peut citer celui de l'Autriche-Hongrie à la Serbie le 23 juillet 1914 qui conduit à la Première Guerre mondiale, mais aussi l'ultimatum Allemand à la Pologne entre le 30 et le 31 août 1939 qui fut le point de départ cette fois-ci de la Seconde Guerre mondiale après que Berlin ait interprété comme rejet de l’ultimatum le fait que Varsovie n'ait pas envoyé, dans les 24 heures, un représentant pour accepter ce dernier.
C’est ainsi que Juan Alonso Aldama explique qu’ « au-delà même de l'expiration du délai fixé, il y a un jeu de stratégies d'utilisation du temps, avec des retards ou des accélérations dans la réponse, qui vont accroître où réduire la tension. » L’ultimatum qui est alors utilisé comme un outil prospectif manipulatoire sert de régulateur aux parties concernées afin d’orchestrer une gradation menant ou non à la guerre à la différence de l’attaque-surprise qui va s’efforcer de surprendre et sanctionner sans sommation. Même s’il faut garder à l’esprit qu’à l’expiration de l’ultimatum, « le moment et la forme de l’attaque restent inconnus, indéterminés. Il s'agit d'une attente craintive à laquelle s'ajoute l'incertitude du moment où la menace s'accomplira, ce qui augmente le complexe et l'intensité passionnelle… En principe, l'intensité et la tension de l'attente devraient se résoudre dans la détente, mais sait-on quand l'attente va se résoudre ou mieux, sait-on quelle est la limite d'intensité supportable pour un sujet ? Jusqu’à quand un sujet peut-il supporter une intensité non résolue, une attente permanente ? »
Dans un second temps, parmi les exemples les plus connus d’attaques-surprises ou de surprises stratégiques on peut citer l’attaque de Pearl Harbor par l’aviation japonaise le 7 décembre 1941 ou encore l’invasion par l’armée allemande de l’URSS le 22 juin 1941, opération connue sous le nom de code Barbarossa.
L’attaque de Pearl Harbor traduit la volonté du haut commandement de l’armée japonaise, et plus particulièrement de l’Amiral Isoroku Yamamoto, d’écraser les forces américaines dès le début de la Guerre du Pacifique (1941-1945) afin de s’assurer d’avoir le champ libre par la suite.
L’objectif de l’opération Barbarossa, définie par Hitler, était de conquérir un espace vital à l’est de l’Allemagne Nazie, Lebensraum pour les Aryens, et asservir le peuple slave. L’histoire nous apprend que malgré la réussite initiale de ces deux attaques-surprises, aussi bien le Japon que l’Allemagne nazie ont perdu la guerre.
Dans son livre « La guerre au XXIe siècle » Colin S. Gray, considère que « La guerre ne change pas toujours selon un mode linéaire et évolutif. La surprise n’est pas simplement possible ou même probable, elle est certaine. »
La contre-attaque surprise de l’Armée Rouge durant le combat pour Moscou a permis de changer le cours de la guerre et a marqué la première défaite de l’armée Allemande. L’excellence des services de renseignements des Alliés et le changement de la stratégie de prise de décisions par l’Armée Rouge sont quelques-uns parmi plusieurs facteurs qui ont permis de changer le cours de l’histoire et d’obtenir une victoire.
Ainsi, nous constatons que dans la double guerre que nous menons chacun à son niveau actuellement, celle contre la pandémie où l’ennemi est invisible et celle contre le terrorisme, les attaques-surprises ont marqué le début de la guerre.
Les contre-attaques seront déterminantes pour gagner
Lorsqu’il aborde le concept de vengeance, le sémioticien Juan Alonso Aldama exprime que celle-ci « articule comme une sorte de pivot ou d’axe narratif, la mémoire et gère un équilibre entre le devoir de mémoire et le projet de futur » et que d’autre part, « la nature de la vengeance, plus que n'importe quelle autre passion, est définie par le temps, entre autres comme kairos : quel est le temps exact de la vengeance ? Est-ce un plat qu'on mange froid, comme on dit, ou « à point ? » En parallèle, nous pouvons émettre l’hypothèse que la contre-attaque s’inscrit elle aussi dans une temporalité stratégique à la frontière du devoir de mémoire et la nécessité d’établir un projet futur.
De même, si comme la vengeance, la contre-attaque « virtualise un futur déjà écrit d’avance », la question du devenir est au cœur du projet de société lorsque celle-ci passe à l’offensive.
Aussi, les organisateurs d’une contre-attaque sont donc amenés à faire preuve de déterminisme et de fatalisme pour écarter un « horizon d’attente » (Koselleck, 1995) qui ne peut avoir lieu dans la perspective d’une action « hors du temps » puisque « celui-ci ne compte plus, il a été définitivement effacé par le déterminisme d'une action inéluctable et inévitable qui ne pourra pas ne pas se produire » comme le souligne Juan Alonso.
Par ailleurs, chaque guerre demande de définir les critères de la victoire. Concernant la pandémie du COVID-19, peut-on considérer que la victoire est obtenue quand :
Le nombre de cas baisse et de combien ?
L’épidémie est éradiquée au niveau national sans la possibilité de nouveaux cas ?
Ou encore que la pandémie soit éradiquée au niveau mondial ?
Ou doit-on considérer que l’on sait vivre avec le COVID-19 à condition que l’économie a opéré la reprise et que la plupart des pays ont retrouvé leur niveau de production et de croissance antérieur à la crise ?
Concernant la guerre contre le terrorisme, à quel moment peut-on considérer que la vague actuelle de terrorisme est derrière nous ou que tous les moyens nécessaires sont mis en place pour limiter l’impact du terrorisme sur la vie quotidienne ?
Au-delà de ces questions qui occupent les gouvernements actuellement, la question de survie ou de la minimisation des pertes préoccupe plusieurs chefs d’entreprises.
La célèbre citation d’Emile de Girardin « Gouverner, c'est prévoir ; et ne rien prévoir, c'est courir à sa perte » reflète particulièrement bien la situation que vivent les chefs d’entreprises en ce moment.
Au-delà des mesures qui seront mises en place par le gouvernement pour accompagner la reprise, chaque entreprise, indépendamment de sa taille, devra imaginer les scénarios de reprise d’activité. Ces scénarios s’apparentent à des contre-attaques et leur qualité sera déterminante pour assurer la survie de l’entreprise.
Ces scénarios devront intégrer le calendrier du déconfinement défini par le gouvernement (régions, groupes à risque, planning…) avec le risque d’un reconfinement en cas de reprise de la pandémie.
Il serait nécessaire de redéfinir la couverture et l’efficacité du dispositif global et la pertinence des procédures tout en validant l’efficacité des solutions organisationnelles, logistiques et techniques avec la contrainte de la disponibilité du personnel et les contraintes de déplacements pour le personnel présent.
Le dispositif global devra tenir compte d’un possible reconfinement dans les mois à venir. Il est fort à parier que la reprise interviendra par vagues et chaque vague devrait être définie et préparée en amont. L’allocution du Président E. Macron attendue ce lundi 13 avril à 20H02 donnera sûrement quelques éléments de réponse sur le plan national.
Une des clés de la réussite de la reprise sera la capacité à rétablir la confiance dans l’avenir et dans la pérennité de l’entreprise et de son mode de fonctionnement. Aussi étonnant que ça puisse paraître, cette crise pourra servir d’accélérateur pour la transformation des entreprises, notamment sur le plan numérique mais aussi sur la stratégie et l’organisation générale.
Par ailleurs, force est de constater que même si la menace terroriste a changé d’aspect pendant la pandémie, elle reviendra certainement en force à la sortie de la crise.
Le président du Centre d’Analyse du Terrorisme Jean-Charles Brisard considère dans le Figaro du 6 avril 2020 que « L’État islamique espère tirer profit de cette crise, qu’il interprète comme un «châtiment divin» contre ses ennemis, pour commettre de nouveaux attentats. »
Enfin, la question de la sécurité des biens et des personnes devra être traitée à la lumière des nouvelles menaces, y compris les menaces par armes biologiques. Seule une approche structurée basée sur une vision et une analyse des risques élargie comme le Triangle de Résilience des Organisations ainsi que la mise en place de solutions adaptées au niveau politique et au niveau des entreprises permettra d’éviter une récession majeure.
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